Camille TRINQUECOSTES
La ville dense face aux enjeux de la décroissance - Strasbourg comme terrain d’expérimentation de l’habiter collapsosophiste
Depuis les temps les plus lointains, les villes jouent un rôle catalyseur dans le développement effréné des sociétés humaines, en étant à la fois la cause et la conséquence de la croissance globale. Or, déjà fragilisées par l’effondrement des systèmes naturels, sociaux et démographiques, les villes seraient également extrêmement vulnérables face à des ruptures énergétiques d’ampleur, impactant l’habitabilité de nombreux logements, les mobilités, et ne permettant plus l’approvisionnement du territoire en matières premières et transformées dont les métropoles sont devenues complétement dépendantes.
Ce constat appelle à réfléchir dès aujourd’hui à l’adaptation des territoires métropolitains à ces problématiques. Le projet se base donc sur une stratégie en trois temps, devant permettre une transition contrôlée vers la décroissance et d’assurer dans le temps l’habitabilité des villes.
Cet objectif appelle une réponse multiscalaire, dans un premier temps tournée vers la question de la ressource vivrière. Le projet propose donc de repenser l’organisation du territoire, en faveur de la relocalisation des productions et des consommations, et en s’appuyant sur le déploiement de la logistique fluviale pour la création d’un circuit court efficace entre la ville et ses campagnes. Pour l’augmentation des capacités agricoles du territoire, le projet questionne les potentiels de mutation de l’espace public métropolitain en faveur de l’agriculture urbaine et propose une stratégie phasée de végétalisation des voiries appliquée au quartier de la Krutenau à Strasbourg.
Cependant, au-delà des problématiques de ressources et d’approvisionnement, il s’agit également de faire évoluer les modes de vie et de penser, afin d’inscrire les mutations spatiales dans un mouvement plus large devant les rendre acceptables, souhaitables, et pérennes dans le temps. Cette transition, que l’on pourrait qualifier de sociale, s’oriente selon les grands principes de la collapsosophie, que sont la création d’un nouveau rapport au monde et à la nature, une préparation spirituelle et solidaire, et la restructuration des sciences et de l’accès à la connaissance.
Ces trois axes ajoutent au projet de nouveaux enjeux, celui de l’implication des habitants dans la production agricole, de la création d’un nouvel habiter en commun des espaces de la ville, et le développement de l’appropriation et de la participation habitante à travers une nouvelle orientation de la profession d’architecte, vers une architecture du processus et des écosystèmes en lieu et place d’une architecture d’objet.
Ces réflexions sociales, spatiales et architecturales sont appliquées au Grenier de la Place Sainte Madeleine, où l’on développe un programme fédérateur pour cette évolution sociale d’ampleur : lieu de sensibilisation et de formation à l’agriculture urbaine, d’habiter en commun, et d’anticipation des évolutions de l’architecture et de sa profession. Pensé comme un référentiel pédagogique des techniques constructives adaptées à l’autoconstruction et à la construction sans énergie, le Grenier devra donc permettre aux habitants d’adapter leurs logements à l’effondrement en les isolant et en créant de nouvelles surfaces à cultiver, constituant progressivement une nouvelle façade et un nouveau patrimoine à une ville devenue plus sobre, solidaire, et résiliente.