Emma Scieux
Regnéville : la mer monte ! Palimpseste d’un territoire mouvant
A l’horizon 2100, la totalité des plus de 5800 km de côtes qui composent le littoral français métropolitain est menacée par la montée des eaux. Dans ce cadre, l’architecte, en tant qu’aménageur des espaces de vie et garant de la qualité d’habiter, se doit de se confronter à cette problématique.
Ainsi, dans le cadre de mon Projet de Fin d’Etudes en architecture, j’ai choisi de travailler sur un territoire que je connais, et qui s’avère particulièrement vulnérable à cet aléa : le littoral du Cotentin. Riche d’un patrimoine, d’une histoire, d’une biodiversité et d’une morphologie urbaine et géographique spécifiques, la côte des havres, qui constitue le littoral Ouest du département de la Manche, est aujourd’hui un territoire en péril, soumis aux phénomènes d’élévation du niveau des océans, d’érosion et de recrudescence des épisodes climatiques violents.
Au sein de ce large territoire, le choix de mon site d’étude et d’intervention a été motivé par un critère majeur. L’enjeu est de développer un projet urbain, paysager et architectural qui s’ancre à un horizon d’environ 100 ans, c’est-à-dire à moyen terme. Il m’a donc semblé judicieux de me concentrer sur un territoire qui soit à la fois fortement vulnérable, mais aussi relativement moins urgemment en danger que d’autres aux alentours.
Le havre de Regnéville, situé dans le pays coutançais, entre les stations balnéaires d’Agon-Coutainville et d’Hauteville-sur-mer, profite d’une géographie spécifique qui protège modérément les territoires qui le constituent. Ainsi, le village de Regnéville-sur-mer, au cœur de l’estuaire de la Sienne, est menacé par la montée des eaux, mais de manière moins conséquente que les stations balnéaires environnantes. L’opportunité et la nécessité d’agir à un horizon temporel plus lointain paraissent alors pertinentes.
Dans ce cadre, mon projet s’attache à repenser les urbanités, les architectures et les modes d’habiter sur ce territoire. L’objectif est de prendre appui sur les spécificités territoriales, en termes d’écosystèmes, de modes d’habiter, de modes constructifs, de ressources, d’utilisations de l’espaces, etc., afin de proposer des pistes de réflexions pour le devenir de ce territoire en péril.
Les notions de résiliences, de repli et de relocalisation sont au cœur du travail de recherche effectué. D’autre part, ce travail s’ancre aussi dans la notion de mouvement. En effet, les phénomènes conjoints de montée des eaux, de recul des traits de côte et d’érosion qui s’opèrent dans ces espaces ont fait du territoire du havre de Regnéville un territoire perpétuellement mouvant. Depuis des millénaires, les mouvements de la côte ont façonné la vie et l’habitat à Regnéville. Grand port de pêche d’envergure européenne au Xème siècle, l’ensablement progressif du havre a sonné sa perte, au XIXème siècle, modifiant les modes de vie et les interactions propres au village. Le prochain bouleversement à venir, à savoir les conséquences de l’élévation du niveau des océans, aura pour effet une nouvelle modification indéniable des modes de vie et des interactions.
Fondé sur des analyses croisées et multiples, le projet a donc pour objectif de faire du territoire de Regnéville un territoire d’expérimentation face à la problématique de la montée des eaux, en proposant un projet, peut-être utopique, tout du moins du domaine de la recherche, qui permette d’ouvrir le champ des possibles. Regnéville-sur-mer porte alors l’ambition de devenir un refuge pour les populations réfugiées climatiques issues des territoires voisins. L’enjeu réside donc dans la densification du village, afin de transformer le territoire en terre d’accueil, en intervenant dans le respect des modes d’habiter préexistants.
Ainsi les stratégies proposées, développées de l’échelle du grand territoire à l’échelle du détail, utilisent la topographie comme matrice pour une réflexion territoriale. Des sauts d’échelle progressifs permettent d’aboutir à un territoire d’étude qui s’exprime sous la forme d’une anse, au sein de laquelle l’objectif est d’accueillir 500 habitants réfugiés climatiques, jauge d’accueil définie par une analyse des habitats menacés alentours. Autour de cette anse, on vient développer de nouvelles densifications, à travers une urbanisation en hameaux, autour d’un nouveau rivage. Installées sur des urbanités existantes, des particularités paysagères ou des accidents géographiques, elles ont pour ambition de proposer des modes de vie diversifiés, spécifiques mais toujours attractifs. Pourtant, il ne s’agit pas de hameaux monofonctionnels, orientés vers une activité, ou déconnectés mais bien de terres d’accueil cohérentes qui profitent de leurs particularités pour offrir des usages pluriels du territoire.
Le développement du projet, au-delà du parti pris de la densification, prend appui sur des réflexions mobilitaires, paysagères, écosystémiques, habitantes, hydrologiques, productives, temporelles et identitaires.
Il est important de noter que les pistes d’expérimentation proposées sont au cœur d’un processus. Elles se veulent levier pour une mise en mouvement du territoire, mais ne constituent pas des propositions exhaustives ou figées. Il s’agit, par un travail heuristique et manifeste, d’offrir des propositions qui soient de l’ordre de l’impulsion pour le village et son territoire associé.
Finalement, ce projet a pour ambition d’ouvrir le champ des possibles afin de faire muter les modes de vie sur le littoral. En menant une réflexion urbaine et paysagère, il s’agit de penser des urbanités résilientes et novatrices, imaginées à partir du sol et propres à leur territoire, pour tenter de répondre, à l’échelle d’un territoire restreint, à la problématique (à résonance mondiale) de la montée des eaux.