Elise LE GALL
Reconversion de la prison de Rummu, en Estonie
La prison soviétique abandonnée de Rummu a longtemps été un édifice de pierre redouté à travers toute l’Estonie. Elle a été construite au bord d’une carrière de calcaire dans le but d’excaver celle-ci par les détenus, forcés d’y travailler dans de dures conditions. À la chute de l’URSS, l’exploitation de la carrière a pris fin. Le pompage de l’eau souterraine a été stoppé, entrainant de ce fait la formation d’un lac qui a englouti plusieurs bâtiments de la prison. Aujourd’hui, les ruines des bâtiments de calcaire et le paysage lunaire de l’ancienne carrière contrastent avec les eaux cristallines du lac turquoise et une forêt luxuriante. Ils témoignent à la fois d’une activité humaine révolue et de la résilience de la nature qui reprend progressivement ses droits. La quiétude du site et les profondeurs intrigantes du lac ont donné une nouvelle dimension au lieu : plongeurs, baigneurs, amateurs d’activités nautiques et randonneurs affluent de toute l’Estonie. Rummu reste néanmoins un lieu avec une charge mémorielle qui ne peut pas être négligée. Les Estoniens souhaitent y écrire une nouvelle page de leur histoire en venant s’y baigner et s’y amuser, mais ils ne veulent pas pour autant oublier le passé du lieu.
Actuellement, les murs d’enceinte de la prison délimitent différents espaces. Ils séparent la zone de baignade et de plongée d’une zone où les anciens bâtiment de cellules et ateliers de travail accueillent des visites guidées.
Dans la zone de plongée, l’objectif est d’accompagner et de sécuriser les activités de loisirs déjà en place, en implantant un bâtiment d’accueil, un restaurant et un nouveau centre de loisirs. Ce dernier serait dédié en été aux activités nautiques et, en hiver, au patin à glace sur le lac gelé. L’ensemble du projet est conçu avec une pensée écologique. Il serait démontable afin d’avoir sur le long terme le moindre impact sur le paysage et de pouvoir s’adapter à l’évolution du rapport qu’entretient la population estonienne avec son passé soviétique.
Dans la zone accueillant actuellement des visites guidées, la solution retenue serait de laisser la nature revenir et jouer, à sa manière, son propre rôle mémoriel. Une conservation ou une réhabilitation de tous les bâtiments de la prison serait impossible à gérer pour ce petit village désargenté et éloigné de tout grand centre urbain. Au lieu de figer l’ensemble de la prison dans le temps pour y exercer des visites dans l’état actuel ou de la transformer pour y implanter des activités dont le village n’a pas l’utilité, l’idée est d’accompagner le temps qui passe par le biais d’un projet évolutif. La solution retenue impliquerait le suivi attentif de certains bâtiments conservés. Elle permettrait de poursuivre les visites tant que les estoniens souhaitent les effectuer, tout en permettant à la nature de revenir, poursuivant la construction naturelle de ce paysage saisissant dans lequel s’inscrit le projet.
Ne pas développer le site ne veut pas dire l’abandonner. C’est envisager une autre manière, peut-être plus durable et moins artificielle, de conserver cette prison. Cette solution tient compte de l’inévitable dépérissement d’un tel objet, à la fois colossal et fragile, dont l’autodestruction est envisagée à très long terme.