Azad Goulameabasse Issoufaly

Reconversion de l’usine List à Rhinau

Avant de commencer cette lecture, j’aimerai mentionner et remercier mon équipe de charrettes qui m’a soutenue et aidée à amener ce projet à son état d’avancement présenté ici. Merci à ADAM Noëmie, DIACONU Ioan-Daniel, VACARCIUC Alexandru-Ionut, REYNAUD Jules, GUARIN Félix et BOUTIN Mathis.

Lorsque je cherchais un sujet de projet pour mon PFE, il m’a été proposé ce bâtiment. Et j’ai été assez vite séduit par sa stature imposante et son côté oublié, presque romantique, posé seul au milieu de la campagne. J’ai commencé à faire des recherches sur lui et conquis j’ai commencé à en apprendre plus sur lui et son environnement.

Il se situe à Rhinau, qui en alsacien signifie pré du Rhin, est une commune qui longe ce dernier. Elle est à 30 km au Sud de Strasbourg et respectivement 20 et 40 km au Nord-Est de Sélestat et Colmar.
Comme beaucoup de petites communes en France, Rhinau est en plein territoire agricole, entourée par les champs.
Mais cela n’empêche pas la proximité et la possibilité de connexion à des voies de flux majeurs. Que cela soit par le voisinage du Rhin et d’un bras de liaison avec le canal du Rhône-au-Rhin, le chemin de fer passant par Benfeld à 10 km ou encore la A35 à moins de 20 km.
Nous remarquons que les anciennes zones de manufactures industrielles et artisanales sont en bordure Nord-Ouest de la ville, à l’écart du centre historique.
Les deux zones urbaines sont aujourd’hui reliées par un étalement pavillonnaire qui s’est propagé après la reconstruction.
La ville en elle-même est un exemple assez typique des petites villes dortoirs. Les habitants, quasiment tous salariés travaillent aux trois quarts dans une autre commune et prennent aux trois quarts la voiture pour se déplacer. Cependant, cela aurait pu être différent. En effet, Rhinau, par sa proximité au Rhin, à un point de jonction entre ce dernier et le canal du Rhône-au-Rhin, ainsi qu’un point de passage au travers du fleuve, bénéficie d’une position stratégique pour les flux et passages de matières premières et manufacturées.

Dès la deuxième moitié du XIXème siècle une entreprise de terre cuite faisant tuile et briques ainsi qu’une autre de tabac s’installent en bordure Nord-Ouest du ban communal. Cela est vite suivi en 1886 du passage du tramway électrique par la ville, amenant des ouvriers des villages alentours. Tirant parti de ces avantages et de la forte production de chanvre dans les alentours au début du XXème siècle s’installe une usine textile en bordure Ouest de la ville.
C’est très certainement pour tirer parti des avantages énoncés plus haut que Rhinau fut choisie comme site d’implantation de la nouvelle usine Heinrich List, firme spécialisée en matériel électrotechnique. Elle devait alimenter les armées allemandes et soutenir l’effort de guerre. La population locale est réquisitionnée comme main d’œuvre, aux côtés de prisonniers de guerre, de femmes et d’enfants, avec jusqu’à 3 000 employés travaillant jusqu’à 65h par semaine.
La nouvelle usine est implantée à côté de l’ancienne usine textile, cette dernière servant d’atelier provisoire. Elle est conçue par Ernst Neufert à la demande de Speer et est construite en moins d’un an entre 1941 et 1942.
Il est même question de construire une ville ouvrière nouvelle, la « List-Stadt », de 500 à 700 habitations pouvant accueillir jusqu’à 10 000 ouvriers. Deux pavillons prototypes ont été réalisés par Neufert et construits à proximité de l’usine.

Néanmoins, le projet tourne court. A la fin de la guerre, alors que Rhinau est aux trois quarts détruite, le bâtiment reste miraculeusement debout et intact. Il passera entre quelques mains jusqu’à son propriétaire actuel mais ne subira aucune modification majeure et restera quasiment intact. Seule la chaufferie et sa cheminée ont aujourd’hui disparus du fait des affres du temps et d’un manque d’entretien. Le bâtiment est un témoin historique assez rare des affres de son époque. C’est ce qui a amené à son inscription à l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques en 2009.

Le module principal est un parallélépipède de 22m de large par 160 m de long et 15 m de haut orienté Nord-Sud. Le long de sa façade Sud, il est scandé de quatre avants corps de 7m de large par 9m de long et 13m de haut.
Le module principal est composé de trois niveaux de plateaux entièrement vides, permettant l’installation de machines diverses et une grande facilité d’adaptation. La plupart de ses mesures et de ses proportions suivent l’Octamètre, un module de 1,25 mètres développé par Neufert et censé s’adapter aux besoins humains.
En façade, nous remarquons un rythme horizontal soulignant d’autant plus la longueur du bâtiment. Ce rythme est donné par l’alternance de strates de parement brique, d’allèges filantes en béton préfabriqué, de fenêtres bandeaux, à peine entrecoupées par des poteaux en béton armé figurant les portiques et le noyau du mur, de linteaux filants en béton préfabriqué et à nouveau de parement brique.
Au Sud, l’horizontalité est brisée par les avant-corps, qui créent une dynamique par leur verticalité.
Structurellement, le bâtiment est composé de portiques avec un entraxe de 5m et formant trois nefs. Le tout est contreventé et maintenu par des planchers en hourdi kaiser avec sa dalle de compression en béton armé par-dessus et les murs extérieurs composés d’un noyau en béton armé entouré par des parements extérieurs comme intérieurs en brique.
L’entrée principale se fait le long de la façade Ouest, tandis que la façade Est sert aux entrées et sorties techniques et logistiques, avec notamment l’implantation d’un monte-charge à son extrémité. Quatre entrées secondaires sont aussi placées le long de la façade Nord au RDC. A cela s’ajoute au premier niveau une cinquième entrée en façade Nord, accessible via la butte à l’arrière.
Les avant-corps eux contiennent les fonctions secondaires et techniques, telles que les circulations verticales, les sorties secondaires, les sanitaires et les bureaux.
Son implantation Nord Sud ainsi que sa grande longueur lui permettent un apport important de lumière naturelle, renforcé au dernier étage par un lanterneau filant dans le sens de la longueur.

La question suivante est quel programme pour tenter de valoriser ce bâtiment ainsi que redonner un sens au passé et au potentiel industriel et économique de la ville, de lui donner une possibilité d’être redynamisée.
En regardant l’environnement direct du bâtiment, ce qui se rappelle à nous assez fortement c’est la présence de champs.

Je me suis alors renseigné sur le monde agricole. Or, il se trouve qu’en plus de la matière première qui sert à nous nourrir ou fabriquer certains objets, beaucoup de co-produits sont laissés de côtés et catégorisés comme des déchets car considérés comme peu ou pas utilisables. Déchets dont la quantité a augmenté ces dernières années en France. Néanmoins, ces co-produits ont un fort potentiel non exploité car pas suffisamment maîtrisé ou connu. Je me suis alors renseigné auprès de la chambre d’agriculture et de la FDSEA (Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles).

Nous pouvons distinguer deux types de co-produits agricoles, ceux organiques et ceux inertes.
Pour les premiers, dont le nombre a doublé en quatorze ans ils sont valorisés par des techniques assez conventionnelles. Que ce soit par compostage puis épandage des boues ou méthanisation. En Alsace l’enfouissement ainsi que la valorisation énergétique par incinération sont interdits.
Pour les seconds, une société nommée Adivalor existant depuis un peu plus d’une vingtaine d’années propose leur récupération et valorisation, avec des usages et techniques existants pour une partie d’entre eux et un pôle de recherche pour améliorer les techniques déjà existantes ou en développer de nouvelles.

De plus en plus de laboratoires avec des écoles et des instituts de recherche appliquée d’innovation se penchent sur le sujet de la valorisation des co-produits agricoles en tout genre et l’élaboration de procédés industriels pour ce faire. C’est le cas par exemple de l’URD ABI dans la campagne rémoise, laboratoire d’AgroParisTech, qui cherche entre autres à trouver de nouveaux procédés pour remplacer ce qui est pétrosourcé par de l’agrosourcé. La demande est telle que leur bâtiment attire de plus en plus d’individus et qu’en moins de dix ans il devenu trop petit pour leurs besoins.

Cependant, un usage uniquement tourné vers l’innovation et la recherche appliquée sur la valorisation des co-produits agricole n’est pas suffisante. Le bâtiment doit pouvoir s’ouvrir à un public plus large, pour faire parler de lui et de son histoire. L’intérêt est de mieux le comprendre pour ce qu’il est et peut témoigner de sa période, mais aussi de promouvoir et mieux faire connaitre les enjeux d’innovation et de recherche qu’il va désormais abriter.
A cela s’ajoute des parties pouvant intéresser le public tout en ayant un usage lié aux activités de recherche et d’innovation.

Les espaces sont orientés de façon à placer à l’Ouest, vers l’entrée principale d’origine ainsi que les prairies et le cours d’eau qu’est la Neuergraben les parties les plus publiques, telles qu’un bistro ou un espace d’exposition. A l’Est, vers l’entrée technique et l’ancienne usine textile, sont placée les programmes privés ayant trait à la recherche et au prototypage industriel. Pour ces espaces, l’idée est de placer ceux traitant des processus avec une maturité technologique plus faible en haut et plus forte en bas.
Entre les deux se trouves les espaces aux usages pouvant être partagés, tels que des bureaux, espaces de formation ou ateliers de type fablab.

En extérieur, le bâtiment influe sur son environnement, que ce soit par son programme comme par sa composition. Sa trame se propage et modèle ses alentours à son image, reprenant le principe de l’Octamètre. Elle finit par s’estomper au niveau de certaines barrières naturelles et artificielles, telles que des buttes et des voiries.
Les espaces publics se développent à l’Ouest, avec la mise en place d’un parvis au pied de l’ancienne entrée principale, dans la prolongation des espaces de bistro, puis de jardins partagés, pour recréer du commun dans cette zone entourée de pavillons.
L’accès principal longe ces derniers et est commune à tous, visiteurs comme employés. Ils sont redistribués via le hall d’entrée et la coursive Sud.
Au centre, des champs et des serres sont mises à disposition des chercheurs pour tester des pratiques et produits en liens avec leurs recherches.
A l’Est un espace logistique en lien avec l’ancienne manufacture textile aujourd’hui inutilisée est déployé, pour à long terme recréer un écosystème économique et industriel dans cette zone.
Enfin, au Nord, les espaces sont rendus au monde agricole et retransformés en champs, utilisables par un agriculteur voisin ou comme extension des champs de recherches.

Pour ce qui est du bâtiment en lui-même, l’enveloppe, sa forme, et sa structure sont conservés. Les espaces « habités » sont placés en retrait des façades Sud et Nord.
Cela permet de générer des coursives tampons larges et généreuses de trois mètres, pour faciliter les interactions, mais aussi gérer et séparer les flux selon leur nature. Au Sud, cela permet de générer un espace extérieur à l’enveloppe thermique pour distribuer de façon publique le bâtiment dans sa longueur. Cela permet de générer une visibilité des différents programmes sans avoir à rentrer dans les pièces, facilitant les visites et la compréhension des activités qui se pratiquent. Mais aussi de conserver le bâti dans son jus et révéler son intérêt patrimonial en gardant intacte les parois intérieures avec leurs alternances des strates de matériaux comme en extérieur.
Au Nord, la coursive est purement technique et permet une desserte privée pour les employés ainsi que le fonctionnement interne au bâtiment. Il est doublé en intérieur, pour permettre de conserver la façade Nord tout en diminuant au maximum les pertes thermiques.

A cela s’ajoutes trois percements apportant encore plus de lumière naturelle, notamment pseudo-zénithale par l’intermédiaire des lanterneaux du dernier étage. Chacun de ces percements a son identité propre. Celui à l’Ouest, sur lequel débouche l’accès principal permet d’appréhender la structure via l’intégralité de portiques révélés, tout en donnant sur des escaliers serpentant entre les étages, menant directement aux espaces de détente et divertissement (bistro, détente et exposition) et aux ateliers de type fablab.
Celui au centre du bâtiment donne sur un patio, espace de végétation entièrement extérieur en intérieur du bâtiment. Cela permet une respiration et une séparation entres les espaces plus privés où sont plus souvent amenés les chercheurs, et les espaces publics et partagés. Cette végétalisation imprègne même la trame et coupe en deux les espaces de serre et champs de recherche.
Cet espace, en extérieur et accessible à tous à tout moment permet d’avoir un avant-goût de qu’est le bâtiment en lui-même et de ce qu’il a à offrir.
Enfin, le dernier percement se situe au à l’Est au niveau des espaces de recherche appliquée et de prototype. Il est bien plus discret et a une fonction bien plus pratique, pour amener de la lumière dans ces espaces de travail, mais aussi générer un espace avec une plus grande hauteur sous plafond dans l’atelier de prototypage pour permettre l’installation ou la fabrication de plus grandes machines.

La mise en retrait permet de conserver les façades, leur lecture et leurs lignes de force.

Cela permet aussi dans la coursive Sud de générer en plus du reste un espace tampon thermique. L’été, les planchers et les façades agissent comme des casquettes qui protègent contre un ensoleillement direct, avec les fenêtres ouvertes en grand pour ventiler. L’hiver, les fenêtres sont fermées, permettant au travers des grandes fenêtres bandeau de 2,50 mètre de capter la chaleur du soleil.

Le bâtiment existant possède une structure et une trame permettant une grande possibilité d’adaptation et d’appropriation. En jouant avec, il possible de créer des espaces fonctionnels et agréables tout en conservant ce qui fait la valeur du bâtiment, d’un point de vue matériel et architectural (sa composition de façade, ses matériaux, sa trame) mais aussi d’un point de vue technique, sa fonctionnalité, avec un programme porteur d’avenir.

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