Tifan SHEN
Arsenal de Venise : une hétérotopie militaire à transformer et à ouvrir au public
RESUME
L’Arsenal de Venise est à la fois un chantier naval et un port commercial. Il a été le prototype de l’industrie vénitienne voire même de l’industrie européenne. Elle représente désormais un défi pour la conservation patrimoniale et la recherche d’une réutilisation contemporaine.
Aujourd’hui, le site a perdu sa dimension militaire et s’est partiellement tourné vers d’autres usages gérés par la commune de Venise. La Biennale de Venise occupe par exemple une partie de l’Arsenal depuis 1980. Mais bien qu’il occupe15% du territoire de Venise, il est pourtant majoritairement à l’abandon. Des interventions ponctuelles ne sont pas suffisantes, il manque en effet d’un plan à long terme pour l’Arsenal.
Mon PFE est conçu dans l’hypothèse du déménagement progressif de la zone militaire d’ici 50 ans. L’Arsenal deviendra donc un lieu pour les habitants avec de multiples infrastructures et des programmes mixtes. Il s’agit d’envisager un nouveau rapport entre l’Arsenal et la ville, entre le lagon et la terre. Puis, dans la prolongation de l’analyse urbaine, une première intervention architecturale prendra place pour activer ce site stratégique.
Le programme du projet est composé par 3 parties : Le conservatoire maritime qui enseigne sur l’histoire d’arsenal, l’atelier de bateaux artisanale en contact directement avec l’eau et troisième hangar polyvalent pour les grandes expositions temporaires en liens avec l’ensemble d’arsenal et les activités de la Biennale de Venise.
L’Arsenal n’est pas seulement un condensé d’objets uniques figés à préserver, mais avant tout un lieu de faits, d’événements, de transformations, d’architectures, de rythmes et de matériaux. A travers mon PFE, je voudrais travailler sur les relations entre le nouveau et le passé, entre le symbole et la fonctionnalité, entre le volume et l’espace et finalement entre l’architecture et son contexte culturel.
UN ARSENAL A OUVRIR A L’ECHELLE COMMUNALE
L’Arsenal apparait comme une sorte de projet continu, qui a conjugué, dans chacune de ses transformations, des enjeux contextuels et des principes d’implantation, des aspects typologiques et des questions constructives. Enjeux continuellement mis à jour, en fonction de l’évolution des connaissances et des techniques de construction navale, mais déclinés de façon à ce que le neuf se stratifie sur l’existant sans jamais l’altérer.
Depuis la deuxième guerre mondiale, l’Arsenal est en déclin et ne participe plus à la construction maritime. La fabrication s’est déplacée à Marghera à l’ouest. Dans la zone militaire, il ne reste plus que l’administration. En 1980, la biennale de Venise s’installe au sud de l’Arsenal, c’est la première fois que la zone militaire se transforme au profit d’un autre usage géré par la commune de Venise. Dès 1990, des institutions maritimes s’installent au Novissima au nord de l’Arsenal.
Aujourd’hui, l’Arsenal est donc occupé par la partie militaire subsidiant, par des logements militaires, par des institutions de recherche maritime et par la Biennale.
La biennale est ouverte au public en automne tous les ans. La manière la plus simple d’y accéder est de prendre la navette maritime qui passe sous le pont Rialto puis traverse la place Saint Marco jusqu’à l’entrée sud de Biennale. Ce parcours via le canal sud est le parcours plus touristique de Venise. En dehors des périodes de biennale, l’Arsenal est impénétrable et isolé par ses murailles défensives, dont son frontière nord représente cette caractéristique particulière. J’ai eu d’ici, avec l’Arsenal et ses murailles, une expérience personnelle qui m’a beaucoup émue, ce texte dessous est écrite pendant mon visite de cet endroit :
J’essaye de redécouvrir la partie nord de l’Arsenal depuis la navette sur l’eau. Je retrouve deux strates horizontale et verticale qui se confrontent directement. Aucune information ne peut être perçue à travers ces murailles sur l’eau, en dehors des drapeaux aux sommets des mâts des bateaux que je vois à travers mon imagination. Je sens une force qui vient du passé, majestueuse même un peu barbare, éloignée de l’esprit de notre époque. Cette muraille est pourtant fascinante, elle créée une hétérotopie au sein même de Venise, un territoire épuré, authentique et original dans le contexte de la mondialisation.
UNE PLACE D’EAU A TRANSFORMER EN 5 PHASES
Grace à ce terrain sous-exploité, nous pouvons envisager une nouvelle place d’eau principalement réservée aux habitants de Venise. Elle favoriserait les flux quotidiens à l’écart des flux touristiques du sud. Un seuil fluvial qui permettrait aux habitants d’accéder directement à Venise en moins de 30 minutes depuis Mestre, l’aéroport ou d’autres sites importants. Comparé aux parcours complexes des bus, des navettes et des piétons, ce nouveau parcours permettrait de rapprocher Venise et ses périphéries par l’eau tout en réactivant un lieu abandonné.
Dans le futur, nous pouvons envisager un tout autre arsenal, entièrement ouvert aux habitants avec de multiples programmes culturels et des infrastructures. Dans ce contexte, j’envisage cinq phases de transformation de l’Arsenal :
1. Nouvelle entrée nord sur l’eau couplée à une nouvelle station de navette qui s’arrête sur le "parvis nord" de l’Arsenal. Cette ligne est réservée uniquement au transport public. La connexion nord-sud ainsi générée permet de rendre l’Arsenal plus facile d’accès afin de le rendre à la ville.
2. Première suppression d’une des zones militaires dans la partie nord afin de recréer la connexion ouest-est historique avec un ponton paysagé pour les piétons. Ce parcours permet d’activer une série d’espaces publics dont le jardin de la biennale déjà existant.
3. Deuxième suppression des zones militaires au sud afin de connecter la nouvelle entrée nord et l’entrée existante de la biennale au sud.
4. Suppression de toutes les zones militaires qui rend l’ensemble de l’Arsenal accessible avec une promenade autour de bassin.
5. L’Arsenal du futur sera un pôle dynamique avec des infrastructures issues d’époques différentes. L’architecture sera conçue autour d’éléments patrimoniaux tels que la Porta Nuova, la Galeazze, la grue Armstrong etc. Mon projet d’architecture sera la première intervention d’une série de projets.
INTERVENTIONS ARCHITECTURALES
A l’occasion de mon projet d’architecture, je m’interroge sur le parvis nord de l’Arsenal. Cette première intervention est conçue dans une stratégie globale qui vise à ouvrir l’Arsenal vers le reste de la ville de Venise, Mestre, Marghera et les îles.
Ce site hors de la zone militaire est actuellement géré par la commune de Venise, ce qui permet de le toucher et de le modifier sans être soumis à l’attente de la démilitarisation. Il a un grand potentiel de par sa dimension et sa localisation géographique au nord de l’Arsenal.
En ces lieux, je voudrais interroger différentes relations entre l’architecture contemporaine et le patrimoine, travailler les espaces publics, penser la transformation des usages et donner un signal contemporain.
Il s’agit deux interventions archi importantes : faire rentrer l’eau à nouveau dans les ateliers pour recréer le rapport poétique avec l’eau comme carte XVIIIe ainsi qu’une extension sud de Galeazze, troisième Tese crée un signal contemporain réversible entre l’intérieur et l’extérieur et invite les visiteurs à entrer dans le site.
Dans Galleazze, il existe 2 différentes postures vis-à-vis du traitement de patrimoine :
Dans le Tese central, c’est une restauration fidèle à l’architecture historique, par exemple la forme de la ferme en bois. Conformément à la charte de Venise, qui respecte l’authenticité de la matière du patrimoine.
Cet espace, avec son statut public, permet d’enseigner au visiteur l’histoire du patrimoine. Ce vide offre la liberté d’accueillir des événements en lien avec le conservatoire tels que des conférences et des salons.
En revanche, la troisième Tese est conforme au document de Nara, c’est une autre forme d’authenticité sur l’esprit du lieu. Cette extension est une réinterprétation du symbole de Tese mais comporte également une autre culture constructive qui permet de libérer le flux au RDC à l’aide de tirants métalliques qui fonctionnent en traction sur la passerelle au R+1
Le parcours se compose de deux boucles indépendantes : une intérieure et une extérieure qui s’appuient sur la plateforme du premier étage qui fait le lien entre ces deux parcours.
Le parcours extérieur se termine sur l’esplanade au pied du socle continue formé par la plateforme et les deux rampes.
La connexion nord-sud crée un front bâti qui maintient l’intériorité de l’arsenal vis à vis du flux continu sur le canal de Galeazze à l’Ouest. L’esplanade comme les autres éléments autour du bassin est un maillon qui reprend la logique de l’aménagement de l’arsenal dont chaque élément participait à la chaîne de fabrication. Les activités sont organisées autour du bassin et s’orientent vers lui.
Cette esplanade est un espace public sur lequel je propose trois scenarios pour l’appropriation de l’espace :
1. marché : la proximité de l’eau permet de faciliter les livraisons
2. exposition temporaire des bateaux (en lien avec le conservatoire de l’arsenal)
3. je profite de la qualité paysagère du site et du rapport à l’eau, pour mettre en place des gradins provisoires qui suivent la dynamique et la monumentalité des rampes maritimes face à une scène sur l’eau.
Nous pouvons envisager un rapport unique entre l’eau, la lumière, le son, la topographie et les spectateurs comme le concert de Pink Floyd sur la place San Marco.